On vous explique ce qu'il se passe dans le nord de la Syrie, où jihadistes et rebelles ont lancé une vaste offensive contre le régime de Bachar al-Assad

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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De la fumée s'échappe d'Alep après des frappes du régime visant des rebelles, le 30 novembre 2024, en Syrie. (AAREF WATAD / AFP)
Pour la première fois depuis le déclenchement de la contestation en 2011, Alep est hors de contrôle des forces du régime syrien, a rapporté une ONG, dimanche.

C'est une première depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2011. Le régime de Bachar al-Assad a perdu le contrôle de la deuxième ville du pays, Alep, a annoncé, dimanche 1er décembre, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). La veille, cette ONG basée au Royaume-Uni avait affirmé que les jihadistes et leurs alliés avaient pris la "majeure partie" d'Alep dans le cadre d'une offensive contre les forces gouvernementales. L'assaut, lancé mercredi, a fait pour l'heure plus de 330 morts – essentiellement des combattants, ajoute l'ONG. Samedi, l'armée syrienne a reconnu que des membres d'"organisations terroristes armées" avaient pu "pénétrer dans de larges parties des quartiers de la ville d'Alep"

Derrière cette incursion, baptisée "dissuasion de l'agression", se trouve le Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe rebelle islamiste dominé par la branche syrienne d'Al-Qaïda, et d'autres factions hostiles au régime syrien. Cette attaque vient briser le calme précaire dans le nord-ouest de la Syrie, rendu possible par un cessez-le-feu instauré en mars 2020. L'offensive a été lancée depuis Idleb, province qui borde celle d'Alep et bastion des rebelles et jihadistes. Vendredi, "deux attentats-suicides avec des voitures piégées" aux portes de la citadelle ont précédé l'arrivée des jihadistes dans la ville, d'après l'OSDH.

La rapide chute du régime à Alep

Les troupes du président syrien, Bachar al-Assad, ne sont pas parvenues à conserver leur mainmise sur la deuxième ville du pays. Selon le chef de l'OSDH, Rami Abdel Rahmane, "le gouverneur d'Alep et les commandants de la police et des services de sécurité se sont retirés du centre-ville". "Le rythme de l'effondrement des positions du régime est spectaculaire", assure également Karam Shaar, chercheur au think tank américain New Lines Institute, à Libération. "Celui-ci a pris la décision de se retirer car il ne croit avoir ni la puissance humaine, ni les armements, ni le soutien de ses alliés pour résister à une telle attaque", estime-t-il. 

Un portrait du dirigeant syrien, Bachar al-Assad, en train d'être déchiré à Alep (Syrie), le 29 novembre 2024. (IZETTIN KASIM / ANADOLU / AFP)

L'armée syrienne a tout de même assuré, dans un premier temps, avoir repoussé "la grande offensive des groupes terroristes" et regagné plusieurs positions. L'aviation syrienne a de son côté lancé des raids intensifs sur la région d'Idleb, a déclaré l'OSDH. Mais "à bien des égards, [Bachar al-Assad] a été plus vulnérable que jamais au cours des deux ou trois dernières années – économiquement, socialement et militairement", souligne Charles Lister, expert au Middle East Institute, sur X.

Une opération préparée

Outre Alep, les rebelles ont conquis environ 70 localités, dont la ville de Saraqeb, toujours selon l'OSDH, qui dispose d'un large réseau de sources dans le pays. L'armée syrienne a été contrainte de renforcer son déploiement autour de la ville de Hama, dans le centre du pays, a rapporté l'ONG dimanche. Le ministère de la Défense syrien a affirmé que les unités de l'armée avaient "renforcé leurs lignes défensives avec divers moyens de feu, équipements et effectifs".

L'offensive ne sort pas de nulle part. "L'opposition armée, située dans le Nord-Ouest, a toujours eu un 'round 2' en préparation. Elle s'entraîne pour cela depuis des années", assure Charles Lister. Pour Dareen Khalifa, experte de l'International Crisis Group, l'opération était préparée depuis plusieurs mois. 

"L'offensive a été présentée comme une campagne défensive face à une escalade du régime."

Dareen Khalifa, experte de l'International Crisis Group

à l'AFP

Le chef du "gouvernement" autoproclamé à Idleb, Mohammad al-Bachir, a justifié jeudi l'offensive en accusant le régime d'avoir "commencé à bombarder les zones civiles, ce qui a provoqué l'exode de dizaines de milliers de personnes". Mais Dareen Khalifa pointe que le HTS et ses alliés "observent également le changement régional et géostratégique". Leur offensive a été lancée le jour même où une trêve entrait en vigueur au Liban entre l'armée israélienne et le Hezbollah, et alors que la Russie est en pleine guerre en Ukraine. "Ils pensent que maintenant les Iraniens sont affaiblis" et le régime syrien coincé, souligne la spécialiste.

L'ombre de la Turquie et de la Russie 

Car derrière les deux belligérants, se rangent d'autres alliés. D'un côté, Bachar al-Assad bénéficie du soutien de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah, grâce auquel il a repris en 2015 le contrôle d'une grande partie du pays et en 2016 la totalité de la ville d'Alep. L'armée russe a d'ailleurs annoncé vendredi bombarder "les positions" des groupes "extrémistes" en Syrie. L'OSDH a fait état de raids aériens russes sur Alep dans la nuit de vendredi à samedi, les premiers depuis 2016. Le ministre des Affaires étrangères iranien, Abbas Araghchi, a lui appelé samedi à une "coordination" entre Téhéran et Moscou afin de "neutraliser ce dangereux complot".

De l'autre côté, certains groupes de rebelles sont soutenus par la Turquie, qui contrôle plusieurs zones du nord syrien. Dans sa première réaction officielle, Ankara a fustigé les "attaques" sur Idleb et sa région après une série de raids opérés par Moscou et Damas. Dans un second temps, le chef de la diplomatie turc s'est entrenu au téléphone avec son homologue russe sur "l'évolution dangereuse de la situation" en Syrie, selon Moscou. "Il semble que la Turquie ne soit pas directement impliquée, mais qu'elle laisse les choses se dérouler, sans adopter de position claire", juge Haid Haid, analyste pour le think tank britannique Chatham House, auprès de L'Orient-Le Jour.

Reste que l'offensive intervient à un moment où la tentative de rapprochement entre la Syrie et la Turquie ne donne rien. Moscou et l'Iran plaident pour une détente, mais Damas réclame un retrait des troupes turques déployées dans le nord de la Syrie, le long de leur frontière commune. Sur X, Caroline Rose, de l'Institut Newlines, avance que la réaction mesurée des alliés de Bachar al-Assad pourrait bien être "une manière de forcer le régime à négocier avec moins de force, en l'absence de tout signe de soutien des Russes et des Iraniens".

La France a d'ailleurs appelé, samedi, à la reprise "sans délai des réunions du Comité constitutionnel syrien, pour parvenir enfin à une solution politique conforme à la résolution" de l'ONU, adoptée en 2015 pour résoudre le conflit en Syrie.

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